Chute.
Alors que je prenais lundi une leçon avec ma prof d’anglais, celle-ci me confia que pour elle, l’automne est la plus belle saison de l’année. J’étais à peu près d’accord avec elle. La campagne est toute mordorée; les arbres revêtent des couleurs différentes. Ce n’est que combinaison de verts, marrons et rouges.
Le sol aussi est jonché de ces couleurs. Même les trottoirs de la ville changent de parures.
Et ces arbres, qui ont perdu leurs feuilles, révèlent leur corps nu laissant bientôt apparaître une sensibilité à fleur de peau : les nervures, les branches mortes, les écorces arrachées.
Je me prends tout d’un coup à les assimiler à des personnes. Ne dit-on pas «effeuillage» lorsqu'on parle de déshabillage.
L’habit fait le moine et il révèle l’originalité, la façon de vouloir s’exprimer face aux autres. Cependant, contempler une personne sans aucun habit transforme radicalement la vision que l’on a de la personne. Certes parce que c’est un moment rare, mais aussi parce qu’elle se comporte également de façon différente.
Je repense à cette jeune femme avec qui je faisais des photos. J’aime réaliser des portraits, notamment capter l’expression du visage, sa sensibilité, son émotivité. Et très rapidement, elle me dit qu’elle n’aimait pas ça. Elle était venue pour poser nue. Elle me dit qu’elle trouvait que tout habillage avait un côté factice et ne faisait que cacher sa vraie nature. Ces parures masquaient et surtout empêchaient de se dévoiler au grand jour.
Je me souviens très nettement de cette fille par ce qui s’en suivit lorsqu’elle eut ôté tous ses vêtements. Elle avait une longue cicatrice le long de la jambe droite qui allait du bas de la cuisse jusqu’au milieu du mollet.
«Ce sont les suites d’un cancer» m’avait-elle dit. «Je suis guérie à présent».
Je n’en fus que davantage ému et compris à présent beaucoup mieux ce qu’elle voulait exprimer sur le fait que les vêtements cachent l’essentiel.
Elle avait certainement le désir de se montrer telle qu’elle était; de dévoiler son corps sans fard (sa beauté, la souffrance qu’elle avait dû endurer).
Durant la séance, j’avais l’impression qu’elle partait parfois dans ses rêves et qu’elle était heureuse, sereine et apaisée.
J’ai de temps en temps de ses nouvelles de façon indirecte puisqu’elle est devenue un personnage public
Et chaque fois que je m’approche d’un arbre qui a perdu toutes ses feuilles, je suis doublement ému en me rappelant son image.