La loi des séries
Il se trouvait planté là sur la place de la ville ; il avait bien choisi son endroit. C’est un lieu où il passe beaucoup de monde : zone étudiante, zone commerciale, zone culturelle. Une très belle zone. Il portait un jean en velours gris clair, une chemise bleu clair et pour trancher un blazer bleu marine.
J’avais moi-même un rendez-vous ; j’étais en avance et j’avais donc le temps d’observer les gens. C’est comme çà que je l’ai remarqué. Il abordait les gens, enfin des filles, ai-je constaté par la suite.
- « Encore un type qui fait des sondages », ai-je pensé.
Apparemment, le sondage devait être inintéressant car aucune personne ne s’arrêtait. Pourtant, il y mettait les formes : beaucoup de courtoisie, un brin de gentillesse et d’humour. Je me suis mis à le plaindre un instant car il devait faire 5°C maxi. Et je commençai moi aussi à avoir les pieds gelés. Je me résolus donc à marcher pour me réchauffer les pieds. Mon parcours m’amena tout près de lui. Le pauvre n’arrivait à attirer personne malgré son air avenant.
Son regard fut attiré par le mien qui observait son manège. Il vint vers moi et me dit : « Ca vous parait absurde ce que je fais, mais ça marche ! »
Visiblement, il croyait que j’entendais ses dialogues ; je lui dis qu’il n’en était rien. Alors il m’expliqua.
Il ne faisait aucun sondage. En fait, lorsqu’il abordait ces jeunes femmes, c’était tout simplement pour leur proposer de prendre un verre avec elle.
Je lui répondis : « Vous n’avez pratiquement aucune chance de trouver quelqu’un qui accepte, en plus avec un froid pareil »
- « Pratiquement aucune chance en effet ; j’ai évalué mon espérance de réussite à une chance sur cent. Et je peux vous dire que les statistiques sont exactes. En moyenne une personne sur 150 accepte »
- « Vu comme ça, évidemment, les choses sont plus positives » lui répondis-je
- « Restez un moment, vous verrez que c’est exact. J’en suis à la 67ème »
- « C’est d’accord, je vais regarder », rétorquais-je
J’allais me poser là discrètement à l’observer lorsque la personne avec qui j’avais rendez-vous arriva.
Je fis au garçon un signe d’au revoir de la main.
Je ne lui souhaitai pas bonne chance, puisque tout est écrit dans les statistiques.
- « Mon amour, combien de chance y-a-t-il que tu restes avec moi ? ».
- « De quoi me parles-tu ? » me dit-elle. « Tu ne vas pas bien ce matin ? »